vendredi 14 mars 2008

Le Bénin fantôme


En sortant de la maison du vaudou de Ouidah, on me montra des photos en noir et blanc datant de quelques semaines : deux jeunes gens, à moitié nus, la tête recouverte d'une étrange substance (des excréments, demandai-je, ce qui provoqua l'hilarité de mes interlocuteurs) encadrés d'une foule visiblement animée de mauvaises intentions. On m'expliqua rapidement qu'il s'agissait de deux jumeaux qu'on avait purifiés lors d'une cérémonie.

Dans les rues qui menaient à la place centrale, l'atmosphère était électrique, très tendue, sans que je sache exactement pourquoi. L'un des types qui avaient décidé de me tenir compagnie m'expliqua que j'avais de la chance, car aujourd'hui, c'était le jour des revenants, et que ça faisait longtemps que ça n'était pas arrivé. Les revenants ou eguns, en yoruba, précisait-il, étaient les esprits des défunts qui revenaient visiter leurs quartiers et amis, avant de se regrouper pour une grande mascarade. Les dates de telles cérémonies étant fixées par des autorités coutumières selon des critères obscurs, il était souvcnt difficile de les rendre publiques, ce qui expliquait l'absence quasi totale de touristes (il n'y avait, de fait, que trois blancs dans les parages : mon collègue Marc et moi-même, et une surprenante vieille dame, très élégante, accompagnée d'un solide gaillard qui la guidait).

Alors que nous atteignions la place, je découvris le premier revenant : couvert de tissus de la tête aux pieds, on n'en distinguait pas un cm de peau libre. Il avançait parfois lentement, s'arrêtant même pour tournoyer sur lui-même, et d'autres fois accélérait brutalement, provoquant à chaque fois la dispersion affolée de la petite foule qui l'accompagnait. Mon interlocuteur m'expliqua que nul ne devait ne devait toucher ou être touché par un revenant, ce qui justifiait les fuites précipitées de la petite troupe. Comme je lui demandais ce qui se passerait si quelqu'un touchait involontairement un revenant, il me dit qu'il n'en savait rien, et précisa qu'à titre personnel, il ne s'en inquiétait peu puisque lui même était un fidèle du dieu Python (dont j'avais précédemment visité le temple - une vague baraque en mauvais ciment construite autour d'un grand arbre).


Toutes ces histoires m'enchantaient au plus haut point : c'était, à proprement parler, ma première mascarade, même si j'avais en mémoire une danse de masque au Sénégal, qui datait de ma prime enfance. Alors que je m'approchais d'une vendeuse de cacahouètes, dans l'intention de me prendre un cornet pour le spectacle - de la même manière qu'on achète des pop-corns au cinoche -, le revenant qui gesticulait m'avisa (je crois plus précisément qu'il avisa Marc qui restait bouche bée à le regarder, frappé de stupeur : il m'avait plusieurs fois glissé "il vaut mieux qu'on se casse, ça va mal tourner"). Il se mit à foncer dans notre direction en sautant comme un cabri, provoquant encore une fois la fuite éperdue des badauds sur son chemin. Je ne me retournai que 100 mètre plus loin, encore tout surpris de la peur panique qui m'avait saisi : derrière moi, le revenant avait repris sa marche tranquille, Marc était encore en train de courir, et la vendeuse de cacahouètes se gondolait de rire en me regardant.


La place principale était noire de monde. Sous un immense arbre, des vieillards en grande tenue étaient assis sur des bancs, tandisqu'un large cercle de spectateurs extrémement agités s'était constitué. Un par un, parfois par deux, les revenants pénétraient le cercle et faisaient toute sorte de danses et d'acrobaties. Rien de la symbolique de leurs gestes, de la signification sociale de leurs vêtements, ou des cris poussés par le public ne m'étaient compréhensibles. Visiblement, on attendait certaines chorégraphies, certains revenants en particulier, et on encourageait ou saluait certaines prestations.

Les revenants qui arrivaient maintenant étaient plus agités, plus menaçants. L'un d'entre eux se mit à tournoyer à une vitesse extraordinaire sur lui même pendant un temps qui me parut singulièrement long. Puis, comme pris d'accès de rage, il se mit à foncer sur la foule, provoquant des mouvements de pagaille indescriptible : fuites, cris, hurlements, chaises et étals renversés. Une bande de jeunes, particulièrement, s'enfuyait à chaque charge en hurlant pour de nouveau l'encercler dès qu'il cessait. A chaque fois que le masque était sur le point de les toucher, ils brandissaient en l'air leurs chaussures, comme si ce geste - ou le fait d'être pieds nus - les protégeait des attaques.
L'atmosphère générale était visiblement extrémement tendue, à la limite de l'émeute comme si une mauvaise excitation parcourait la foule.
L'un des derniers revenants multipliait les acrobaties les plus improbables sous les huées du public chauffé à blanc. Alors qu'il tournoyait à très grande vitesse, son pied se prit dans un pan de son costume, et il s'étala de toute sa longueur au centre de la place, sous les yeux ahuris de la foule.

Pendant une seconde, un silence assourdissant tomba sur la ville. Une seconde, sans doute pas plus, le temps sembla tout à fait suspendu devant cet évènement impossible : un revenant venait de chuter. Qu'allait-il se passer ? J'en étais au point de défaillir : il faisait une chaleur insuportablement lourde, j'étais pressé par les specteteurs autour de moi -seul petit blanc au milieu de la foule béninoise-, et la tension me semblait avoir atteint son paroxysme. J'eus l'impression, le temps de cette seconde interminable, que quelque chose comme une sorte d'amok africain allait éclater, que la foule allait exploser, et tout détruire.
Un revenant venait de chuter !

En fait, un immense éclat de rire traversa les spectateurs. Toute la tension que je croyais avoir ressenti depuis plus d'une heure avait disparu, et cette foule pliée en deux d'hilarité se foutait ouvertement de la gueule de ce pitoyable revenant qui avait voulu faire le malin avec ses cabrioles. Le fidèle du dieu Python, à côté de moi, n'en pouvait plus de rire, et me balançait de bons gros coups de coude dans les côtes sur le mode "Quel nul celui-là".


Voilà, j'avais assité à ma première mascarade, je n'y avais absolument rien compris, j'avais eu peur quand il ne le fallait pas et je n'avais pas ri quand il le fallait. Mais putain, j'étais pas peu fier d'avoir vu les revenants yorubas de Ouidah.

2 commentaires:

EUSTACHE a dit…

Vous êtes un aventurier, jeune homme.

Anonyme a dit…

On peut poster des âneries chez l'autre dingue, maintenant ?