samedi 28 mars 2009

Grande Hôtel



En sortant du musée d'anthropologie, voilà pas que je tombe sur... le Grande Hôtel de Luanda. Cela fait deux ans qu'une étiquette d'hôtel trouvée par hasard sur internet me sert de bannière, et je me demandais si j'allais jamais trouver le "vrai" Grande Hôtel Luanda. C'est désormais chose faite.
Une palissade entoure le bâtiment colonial, complétement en ruine. Lorsqu'on pénètre dedans, on se rend compte que le lieu, très grand, porte tout à la fois les marques d'une grandeur passée, avec ses cours intérieurs, ses balcons en fer forgé, son grand hall, et celle d'un présent déchu : clodos, mendiants et gens de la rue squattent le lieu qui sert aussi de vespasiennes publiques.

Au coeur du Luanda historique, on imagine que le bâtiment, s'il était restauré, deviendrait quelque chose d'assez exceptionnel. Le quartier tout entier est d'ailleurs très joli.

vendredi 27 mars 2009

Estudar é um dever revolucionàrio


"Textes de français, 9ième année", Ministério da Educação, Repùblica popular de Angola, est un ouvrage non-daté, mais vraisemblablement assez ancien. Le manuel ne propose pas d'appareil critique autour des textes, ni présentation, ni lexique, ni questions. Je suppose que les enseignants se débrouillent comme ils peuvent. En 4ième de couverture, une seule phrase - un mot d'ordre : "Estudar é um dever revolucionàrio".

Et l'ouvrage entier rend compte de cette logique "révolutionnaire". Il se décompose en 4 parties : I. Aspects de la vie quotidienne, II. La culture moderne et la tradition, III. La tradition orale, IV. Aspects de la lutte de Libération, V. Poésie révolutionnaire.

Malgré une petite centaine de pages, on n'y trouve finalement qu'un choix assez limité d'auteurs : quelques textes anonymes (de "Haute-Volta"), de nombreux textes de Seydou Banian, un florilège africain (Ousmane Socé, Nazi Boni, Aké Loba, David Diop - je n'en connais aucun), des poèmes d'Agostinho Neto (le père de la nation est donc traduit en français pour qu'aucun élève angolais n'y échappe), des extraits d'Amilcar Cabral (là aussi, une traduction, forcément), d'un discours de Sékou Touré (qui porte sur son soutien au MPLA) et enfin quelques textes d'auteurs français : Franz Fanon et Aimé Césaire sont largement représentés, et l'ouvrage se clôt sur deux poèmes, l'un d'Eluard et l'autre de Prévert.

C'est la première fois que je vois un manuel scolaire à ce point orienté, politiquement. Si on peut se réjouir de la prépondérance accordée à la littérature "négro-africaine", on peut quand même se poser la question de la place accordée à la littérature : pratiquement aucun "grand" auteur français (même pas Zola, qui serait pourtant entré dans la "ligne"), ni extrait de roman ni extrait de théâtre.
Le livre lui-même est tout de même très beau, avec une magnifique couverture (à qui ma photo pourrite ne rend pas justice).

Na escola angolana

L'école Garcia Neto se trouve non loin de l'égilse de la Sagrada Familia. C'est un lycée de formation de professeurs. Pour être honnête, je m'attendais à un bâtiment abîmé, à des salles de cours vétustes, sans chaises, à des équipements hors d'usage. Or ce n'est pas le cas : l'école a profité d'un récent financement, et contrairement à d'autres écoles que j'ai pu voir (sans les visiter), elle est plutôt bien équipée, avec des labos de sciences bien fournis, et des salles de classe tout à fait acceptables. Le bâtiment lui-même est celui d'une ancienne école portugaise et a visiblement été bien entretenu.


Les élèves, âgés de 16 à 24 ans, passent un diplôme d'un niveau qui correspondrait à peu près à celui de notre lycée. Blouses blanches de rigueur (un planton à l'entrée veille à ce qu'aucune tenue négligée ne passe le pas de la porte), ambiance à peu près studieuse (malgré de gros problèmes d'absentéisme liés au fait que les élèves ont souvent un petit boulot en dehors de l'école), et horaires un peu particuliers : 3 groupes de lycéens, ceux du matin (8h-12h), ceux de l'après-midi (14h-18h) et ceux du soir (18h-22H), se croisent pour "rentabiliser" au maximum l'établissement (l'Angola souffre encore d'un cruel déficit d'établissement scolaires).

Ici, on se destine à devenir enseignant : les matières scientifiques et l'histoire-géo ont la côte, les langues (portugais, français, anglais) sont globalement moins appréciées.
Pourtant, je rencontre des lycéens en français qui sont d'un très bon niveau linguistique, et qui s'intéressent, malgré ce qu'en disent leurs professeurs, aux cultures francophones, particulièrement à la française. Il sont lu Rousseau, Voltaire, Senghor, parlent de Papa Wemba, Salif Keita, Céline Dion, Youssou n'Dour, posent des questions sur l'OIF et me demandent si le français a un avenir en Angola.

jeudi 26 mars 2009

Anniversaire


Paris-Match a 60 ans aujourd'hui. C'est dingue.
Il y a des âges que ça fait bien chier d'atteindre, qu'on aurait voulu le plus lointain possible. Mais enfin bon, je dis ça, je dis rien.

dimanche 22 mars 2009

Rien que pour vos yeux


Daniel Clowes est peut-être le plus grand auteur de bd vivant, et je ne parle pas de taille (enfin, pas encore). Dans sa bibliographie, j'aime particulièrement Ghost World (adapté à l'écran par Zwigoff), David Boring et le recueil Caricatures. Or, toutes ces histoires ont été initialement publiées dans le comics Eightball que Clowes édite depuis 1989. Jusqu'à présent, il n'était pas facile de dégotter Eightball, sauf à le commander sur internet ou à fréquenter quelques unes des librairies parisiennes qui le proposaient en import.

Quand, à Angoulême, j'ai vu que Cornélius avait édité (et traduit) une sorte d'anthologie (ou de Best of, de pot-pourri, une sélection quoi) de la mythique revue, je me suis empressé d'en faire l'acquisition, avec pour projet de me réserver la lecture de ce forcément-chef-d'oeuvre pour Luanda quand le jour viendrait où je n'aurais plus rien à lire. Ce jour, c'était hier.

Le Eightball de Cornélius a plusieurs atouts : il est en français (ce que la revue américaine n'était bizarrement pas), et il est suffisament épais pour qu'on y trouve forcément des histoires qu'on n'avait pas lues, même si on avait acheté plus ou moins régulièrement la revue originale.

Mais le Eightball de Cornélius a un défaut majeur : il nique les yeux.

Putain, je ne me souviens plus du format d'origine de la revue américaine, mais je défie quiconque s'approchant de la quarantaine cette semaine de réussir à lire plus de deux histoires sans pleurer comme une madeleine et sans être soumis à de violentes céphalées, tant la taille du lettrage est minuscule. C'est simple, elle doit tourner autour du 2 - peut-être du 2,5.

Je ne sais pas bien quel est le but recherché par les éditions Cornélius avec ce lettrage minuscule : peut-être s'agit-il d'humilier les gens d'un certain âge, peut-être veut-on préserver l'oeuvre en la rendant difficile d'accès, mais en tout cas, ça fait un peu chier.

samedi 21 mars 2009

Nollywood

Encore des photos de Pieter Hugo, cette fois pour la série Nollywood (c'est à dire consacrée au cinéma nigérian). Voir l'intégralité ici.

(Merci Jean-Michel)

Confetto


Tiens, puisque j'en suis à causer à tort et à travers au bar du Grande Hôtel Luanda, j'en profite pour rebondir sur un article de Rue 89, obligeamment envoyé par Armelle depuis sa cité phocéenne. Il s'agit du prochain changement de statut de Mayotte qui devrait, selon toute vraisemblance, devenir Département d'Outre Mer.

Cette histoire de départementalisation de Mayotte, dont à peu près tout le monde, en dehors de l'outre-mer français, se fiche éperdumment, me laisse très perplexe, moi qui n'y ai jamais mis les pieds et qui n'y connais rien.

Or donc, dans quelques jours, on va transformer une petite île au statut bâtard (collectivité départementale, si je ne me trompe pas) en 101ème département, lui permettant ainsi de rejoindre, enfin, le droit commun, chose que réclament les Mahorais depuis à peu près 30 ans. Tout cela serait magnifique si l'histoire de l'île, son environnement, sa situation sociale ne posaient pas un certain nombre de questions.

Faut-il, par exemple, rappeler que Mayotte faisait partie de la colonie des Comores et que, par un tour de passe-passe pas très glorieux, elle en a été détachée au moment de l'accession à l'indépendance de l'archipel, afin de rester française ? L'UA, la ci-devant république islamique des Comores et même l'ONU ne l'ont pas oublié, eux qui réclament, depuis, la rétrocession de l'île au reste de l'archipel.

Evidemment, aucun Mahorais sain d'esprit n'a envie de rejoindre les Comores, et vivre dans la misère la plus crasse, sous la dictature de l'un ou l'autre roitelet qui prend le pouvoir régulièrement depuis Dénard. D'ailleurs, Anjouan et Mohéli sont tellement ravis des conditions de vie comoriennes qu'ils ont, dans un passé récent, réclamé à corps et à cris un rattachement à la France (une situation ubuesque qui a finalement fait long feu).

Mais la départementalisation de Mayotte pose aussi un certain nombre d'autres problèmes. Voilà une île dont la population ne parle majoritairement pas le français, dont les lois coutumières continuent d'exister en paralèlle au droit français, et dont la situation sociale et économique relève plus du tiers-monde que de l'Union européenne (même si, ok, c'est mieux qu'à la Grande Comore).

Qu'est-ce qu'il a foutu l'état français à Mayotte depuis 30 ans ? Un système scolaire complétement bidon, une formation professionelle inexistante, des infrastructures balbutiantes, un taux d'alphabétisme réduit, un état-civil à créer, une langue nationale que seule une minorité maîtrise, des lois coutumières aberrantes (polygamie, justice cadiale etc)...
Qu'est-ce que ça signifie être français pour un Mahorais ? Toucher les mêmes minimas sociaux, intégrer une conception de la société, de la laïcité, de la culture qui n'est visiblement pas celle de la tradition ?

Tout cela est absurde. On ne peut pas blâmer un peuple d'aspirer à des conditions de vie décentes (conditions qu'on lui a refusées jusqu'à présent parce qu'ils "n'étaient pas département"), mais on peut tout de même lui rappeler que la nationalité, la citoyenneté, correspond aussi à un sentiment d'adhésion à une identité et qu'en l'occurence, ça risque de changer radicalement une société mahoraise qui n'en a peut-être pas besoin*. On peut aussi blâmer un Etat particulièrement désinvolte et méprisant, comme à son habitude dès qu'il s'agit des confettis de l'Empire, qui n'a rien fait pour le développement de l'île et qui se dirige maintenant vers des emmerdes à n'en plus finir.


*Mayotte, d'après ce qu'on entend, a vécu de tels changements socio-culturels ces dernières années que l'ambiance générale y serait infecte (xénophobie, délinquence etc). Ainsi, il ne fait pas très bon être anjouanais sur l'île hippocampe ces derniers temps.

Wik

L'autre jour, je faisais des recherches sur Jean-François Klobb, cet officier français du début du siècle, basé à Tombouctou, qui avait été envoyé pour rattraper la mission Voulet-Chamoine qui semait horreur et désolation dans sa folle avancée à travers le Sahel. 2 000 kms de course-poursuite et d'horreur civilisatrice pour une version française et nigérienne de Heart of Darkness. Quand Klobb finit pas rejoindre les deux fous sanguinaires pour les destituer, il se fait abattre comme un chien.
Bref, au cours de ces recherches, je tombe sur un personnage assez intrigant, la reine Sarraounia, une chef de guerre Haoussa qui tint tête à l'armée française. Malheureusement, je n'obtiens que des informations partielles, lacunaires, je n'arrive même pas à savoir si le royaume de Sarraounia se situe dans l'actuel Niger ou dans l'actuel Burkina Faso. Qu'à cela ne tienne, wikipédia est mon ami. Et effectivement, je trouve une petite notice sur Sarraounia, mais en anglais. Tiens, me dis-je, c'est étonnant qu'une figure historique d'Afrique francophone, qui plus est en relation avec l'histoire de la colonisation française, n'ait pas droit à sa fiche wiki en français.
Aujourd'hui, je lisais un article du blog de Colette Braeckman sur Alexis Sinduhije, un journaliste burundais étonnant, et si j'en crois l'article de Braeckman, une future personnalité majeure de la région des Grands Lacs. Pour en savoir un peu plus, je fais une recherche wiki. Et je trouve. Un article en anglais.
Je sais bien qu'il ne s'agit que de deux exemples mineurs, mais tout de même. Que Wikipédia soit plus complet en langue anglaise, je le conçois, mais qu'il le soit au sujet de personnalités issues du monde francophone, ça ne laisse pas de m'étonner.

vendredi 20 mars 2009

Another perfect day

Bande dessinée de 6 X 25 cases pour le collectif "C'est nous qu'on est Motörhead" prévu chez Dargaud bientôt. Brüno au dessin, moi au blabla (le contraire aurait été moins bien, surtout point de vue dessin).

Bitterkomix review

Ce couillon d'Hobopok m'a pris de vitesse (ok, je n'ai pas été très vif sur ce coup-là) et a déjà parlé des sorties françaises en matière de sud-afriquinerie.
Je me contente donc d'en remettre une couche :


- "Bitterkomix" chez L'Association, sorte d'anthologie et excellente porte d'entrée dans le travail de Joe Dog et Conrad Botes, puisqu'il propose une large sélection de bandes dessinées et de divers travaux graphiques des deux gaziers.


- "Rats et chiens" de Conrad Botes, chez Cornélius, outre le fait qu'il est remarquablement traduit, constitue une sorte d'aboutissement des thèmes conradiens : violence, religion, sexualité.


- "The Red Monkey dans John Wesley Harding" de Joe Daly, chez L'Association, est encore un de ces bouquins très bizarres dont Joe Daly s'est fait une spécialité : ambiance ligne claire décalée, tintinesque et capetownienne, dans un univers de malaise, onirique, très singulier.

200 millions


Si l'Angola fête ce 20 mars l'arrivée de Ben croix-vé-bâton, le reste du monde (c'est à dire quelques vagues dépêches AFP) ne manquera pas de rappeler qu'aujourd'hui est la journée mondiale de la francophonie.

La francophonie est ce truc complétement ringardisé en France qui consiste à rappeler qu'une partie de la population mondiale a en commun l'usage du français. Il y a même une institution politique, l'OIF, qui est censée rassembler les pays concernés.

Il est donc probable que les rares journaux français qui se feront l'écho de l'évènement le rapportent autour de quelques mots-clés : Liban (un des lieux de la teuf de cette année) - 200 millions (le nombre de francophones) - OIF (organisation internationale de la francophonie). Et qu'on n'en dira pas plus.

Chaque année, c'est à peu près la même chose, mais chaque année, ça m'énerve.

- L'OIF, par exemple, est vraiment un "machin" au sens degaullien du terme : on y trouvera par exemple des pays dans lesquels l'usage du français est plus que discutable (Arménie, Albanie, Chypre, Macédoine, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Ghana, Slovénie, Thailande, Ukraine, Mozambique, Moldavie...) mais nulle trace de l'Algérie qui est pourtant le 2eme ou 3eme pays francophone dans le monde. Quelle est l'activité principale de l'OIF ? On ne sait pas trop : c'est visiblement un club international pour fumer des cigares et voyager en 1ère.

- la définition du mot "francophone" est complétement floue, et les chiffres avancés pour le moins sujets à caution. On annonce donc 200 millions de francophones (parfois on oscille entre 150 millions et 850 millions), sans que l'on sache quelle réalité ça recouvre ni comment on les a comptés. A partir de quel niveau de maitrise de la langue est-on francophone ? On n'en saura rien. Comment, par exemple, la République Démocratique du Congo a-t-elle compté ses locuteurs francophones ? Combien en a-t-elle compté, d'ailleurs, alors même que sa population n'est pas recensée (on évalue entre 60 et 80 millions le nombre de Congolais) ?
Tiens, rien qu'en en Angola - qui ne fait pas partie dela francophonie -, on parle de 4 à 6 millions de personnes qui sont passées par la RDC (réfugiés nationaux et immigrants) : quelle pratique de la langue ont-ils ? Par qui sont-ils comptabilisés ?

- Les pays anglophones n'ont aucun souci identitaire ou culturel dans la pratique de l'anglais. Les pays lusophones parlent portugais sans se poser nécessairement la question du rapport qu'ils entretiennent avec le Portugal. Mais de nombreux pays francophones considèrent que le fait de parler français les assujettit à la France, et surtout les Français continuent de croire que la langue leur appartient et que c'est par soumission culturelle, ou par admiration, que les autres parlent le français. Il faudrait peut-être juste rappeler qu'il y a plus de locuteurs français hors de France qu'en France, et que, quelle que soit la méthode de recensement, les francophones sont plus nombreux en Afrique qu'en Europe, ce qui fait du point de vue comptable du français une langue africaine avant toute chose.

- La culture française est à ce point obnubilée par les Etats-Unis qu'elle est incapable de regarder vers le sud et vers des pays - des cultures - qui lui sont bien plus proches, ne serait-ce que par la langue ou l'histoire : 4 millions de morts dans les guerres du Kivu, un coup d'état scandaleux à Madagascar, et ce sont quelques lignes éventuelles dans les journaux. L'armée française qui tire à balles réelles sur des manifestants ivoiriens suscitera moins d'émoi qu'un lycéen américain tuant une dizaine d'élèves.

La francophonie, en France ? Au mieux tout le monde s'en tape, au pire, on la méprise. Hé ouais, les francophones sont pour leur immense majorité des arabes et des noirs. Ca craint. Et quand c'est des blancs, c'est des Québécois, le peuple le plus méprisé en France depuis qu'on en a fini avec les Belges (et je ne parle pas des domiens).
Bonne fête le francophonie.

samedi 14 mars 2009

Vertige

J'étais en sixième ou en cinquième. J'avais acheté ce 45t. On n'arrêtait pas de le fredonner dans la cour du collège Bourbon.
Pauvre vieux Bashung, pauvres vieux que nous sommes. Le crabe aux pinces d'or nous aura tous.

On the road again


Roman apocalyptique, "La Route" de Cormac McCarthy ne raconte rien : un homme et son fils avancent le long d'une route dans un pays de l'après apocalypse (nucléaire, peut-être) et tentent de survivre. Une route, un pays ravagé par les incendies, de la cendre partout, animaux disparus, flore éteinte, soleil caché, humanité - où ce qu'il en reste - devenue sauvage, "La Route" est d'un pessimisme saisissant, et fonctionne essentiellement parce qu'il refuse tout spectaculaire dans l'action : ce qui compte ici, c'est la minutie des gestes de survie, pas les éventuelles bastons contre des zombies (d'ailleurs, il n'y en a pas).
Ou si vous préférez, c'est comme si au lieu de suivre Mad Max, on s'intéressait à un pauvre figurant d'arrière-plan, celui à peine entrevu au fond de l'image, et qui n'est en rien remarquable.

"La Route" a reçu le prix Pulitzer, ce qui l'a propulsé comme un best-seller aux Etats-Unis, puis dans le monde. On y a vu une oeuvre richement métaphorique, visionnaire. C'est sans doute vrai, mais ce qui marque vraiment c'est le pessimisme du récit, et l'effroyable sentiment de solitude qui s'en dégage. Pas mal du tout pour un roman à la mode. Et quel prénom étrange, Cormac, je vous jure.

by the coward Robert Ford


"The assassination of Jesse James", western enneigé. L'histoire de la fin de Jesse James a été mainte fois portée à l'écran, au point de faire de Jesse James l'un des héros de western les plus exploités par la fiction américaine.
Le réalisateur néo-zélandais Dominik propose cette fois un drôle de film, classique et moderne, à la fois naturaliste et onirique, ouvert sur les grands espaces et fonctionnant en huis-clos.
Grand espaces avec de magnifiques paysages désolés et enneigés, mais huis-clos car finalement tout se passe vraiment dans la dernière heure du film (qui est très long) dans la maison de Jesse James, où chaque geste anodin semble compter, et surtout parce que ce qui intéresse le récit c'est la confrontation de James et des deux frères Ford.
Naturaliste par le soin apporté à la reconstitution de l'Amérique de 1880 - vêtements, vie quotidienne etc -, par le jeu des acteurs dont les personnages semblent d'une réalité palpable et évidemment par le traitement du scénario : pas de fusillades, de bagarres à n'en plus finir, de romantisme échevelé. Dominik suit à la lettre la réalité historique (voir ici la lettre du vrai Ford relatant l'assassinat) et pousse le film au-delà du crime attendu pour envisager la naissance de la légende. Mais onirique, le film l'est par le spleen qui se dégage des ambiances, des couleurs, des personnages (un peu minables, incapables de communiquer), par la photo très très belle (avec des effets parfois à la limite du précieux) avec des couleurs profondes et blafardes à la fois, des cadrages étudiés, des effets de flou ou de distorsion (par la vitre de la fenêtre par exemple), par l'effet terrible de solitude, d'isolement qui se dégage des lieux du récit.

Mais la réussite incontestable du film, de mon point de vue, ce sont les seconds rôles, qui sont d'une justesse incroyable, en particulier Dick chaipasquoi (interprété par Paul Schneider), jeune coq poético-débile, et les deux frères Ford (singulièrement Sam Rockwell), plus ou moins mutiques et idiots. Même Nick Cave apparait, en chanteur de saloon. Il faut enfin souligner que le doublage français (j'ai vu la vf malheureusement) n'est pas mauvais du tout.

jeudi 12 mars 2009

Zone


quand Gaël m'a vu en décembre et que j'achetais des romans pour finir cette année en Angola, il m'a dit, c'est Zone d'Enard que tu dois lire, c'est très gros, tu vas en avoir pour un certain temps, c'est vachement bien et c'est vrai que c'est un gros bouquin, ce qui étonne le plus c'est évidemment le petit jeu auquel je me livre, c'est à dire un texte d'une traite sans ponctuation forte, comme s'il s'agissait d'une seule phrase qui parcourait les 500 pages du livre, car Zone c'est ça une longue scansion, depuis un train italien - ce qui fait penser à la prose du transsibérien de Cendrars plutôt qu'au poème d'Apollinaire - qui évoque la vie supposée du narrateur, un jeune homme des services secrets français qui apporte une mystérieuse valise au Vatican et qui se remémore sa vie, celle d'un ancien soldat croate, ses amours, et surtout l'héritage guerrier, meurtrier de la "zone", cet espace flou qui serait celui de la Méditerranée, des massacres libanais aux viols de Bosnie, en passant par les égorgements algériens, Troie ardente, les croisades ou la bataille de Lépante, ce qui fait que Zone est à la fois très moderne (mais peut-être pas révolutionnaire, des contraintes formelles, on en a eu avant Enard, hein) et très savant, multipliant les convocations historiques, politiques et littéraires, c'est pas étonnant que Gael ait adoré, je me souviens que vers 92, un peu comme le personnage de Zone, il avait déserté la glorieuse armée française d'occupation pour partir en Bosnie faire le coup de feu, Gael était romantique, moi j'étais glandeur en Lettres Modernes, et ça m'avait absolument scié, c'était Malraux vibrant devant moi, ce con, et voilà il prend un train pour Sarajevo, via Nice, l'Italie, comme le personnage de Enard, mais arrivé à Nice, Gael qui doit avoir une correspondance ou un truc comme ça, donc du temps à tuer, décide avant d'aller affronter la kalash à la main les féroces oustachis ou les Serbes sanguinaires, donc il décide de visiter je ne sais quel château de la région, c'est bien normal, il va partir pour la guerre, il a déserté, il est recherché par toutes les polices d'Europe, voyez-vous, Gael il a lu Cendrars, Malraux, mais c'est pas un glandeur d'étudiant en Lettres qui dort toute la journée dans son appart au lieu d'aller à la Sorbonne, bref vraiment, je ne me moque pas, c'est un vrai jeune héros romantique, il va au château, dernière escapade avant la guerre, la boue, le sang, la merde, il visite un château, il grimpe sur les ruines de la vieille France, mais voilà pas qu'il se pète la gueule, il dégringole et se casse la cheville, à Nice, à des centaines de kms de Sarajevo, voilà c'est fini l'aventure bosniaque, il n'ira pas à la guerre, parce qu'il s'est pété la gueule sur les ruines d'un château niçois, c'est drôle, il me téléphone, on en rit, finalement il ira se planquer en Irlande chez Renaud, il boira des coups au lieu d'en donner, c'est pas plus mal et c'est drôle je trouve, c'est ce qui manque à Enard parfois, une forme de légereté, pas d'humour, il y en a un peu, mais du sens du grotesque, du ridicule, comme chez Flaubert qui raconte la révolution de 48 dans l'Education, il manque à Enard un Gaël qui se pète la gueule sur les ruines d'un château niçois, son roman se lit avec gourmandise mais je me demande s'il ne porte pas sur l'estomac à force, non pas à cause du sujet, évidemment Auschwitz c'est pas léger, mais peut-être parce qu'il lui manque le sens du ridicule, une touche de burlesque, mais enfin, je fais la fine bouche, c'est quand même très bien, Zone, vous pouvez l'acheter, d'ailleurs il y aurait un s final au titre, ce serait un récit de Rolin, et d'ailleurs aussi, il y a dans les remerciements finaux le nom de Deville, le mec qui a écrit Equatoria, tout se recoupe, presque un mouvement littéraire, un roman français qui a dépassé l'inhibition du Nouveau Roman, je trouve ça pas mal

mardi 10 mars 2009

Namibie, dernière (IV)


Lüderitz – Windhoek

Pour rentrer à Windhoek, on décide de prendre le chemin des écoliers, en suivant une large boucle qui remonte vers le nord en frôlant le désert, dans ce qu’on appelle le Pro-Namib.
A Aus, on croise les chevaux sauvages du Namib. Parmi les différentes versions qui s’affrontent au sujet de l’origine de ces canassons qui traînent à la lisière du désert, celle que je préfère c’est celle du « baron » von Wolf, un gus de la schutztruppe, qui, après avoir un peu exterminé les Hereros, s’est décidé à vivre comme un noble qu’il n’était pas, avec chevaux et tout le tintouin. Après son départ définitif de Namibie, ses biens furent éparpillés et ses chevaux s’enfuirent. Ceux qui traînent ici, autour de Aus, en seraient les descendants. Je leur aboie quelques ordres en allemand (LV1) mais soit j’ai de mauvais restes, soit ils ont oublié la langue de Goethe, et ils ne réagissent pas.

On fonce droit vers le nord, après Aus, délaissant le bitume pour une piste qui n’en finira pas avant 500 bornes, passant de la terre au sable, puis aux graviers. Et ça file droit, dans un espace immense, à l’horizon infini.
De la plaine, que seules quelques lointaines montagnes ont de la peine à border, dans laquelle les autruches galopent.

Du désert, à la toute limite du sable, avec une route droite, droite, un ciel immense, et évidemment personne, pas une bagnole pendant des heures et des heures.
Sur le côté, une armée d’oryx en rang de bataille, avec leurs cornes comme les lances d’un régiment de piquiers de la Renaissance.

La voiture file, un panache de poussière accrochée au train, et petit à petit, grimpe vers le plateau central.

Tiens, on passe le château de Duwisib, celui du baron von Wolf. Drôle de bâtisse, pas très belle, que le baron avait construit dans son délire de nouveau seigneur, mais dont il a finalement peu profité : au moment où la guerre de 14 éclate, il est en voyage pour l’Angleterre pour acheter des moutons, pas de chance. Le navire est détournée sur l’Argentine (ou le Brésil, ça dépend des versions) où il est d’abord interné dans un camp, puis il réussit à rejoindre l’Europe (déguisé en femme) pour aller batailler, ce qu’il fait avec plus ou moins de succès puisqu’il meurt lors de la bataille de la Somme (avait-il gardé ses escarpins ?). Ses biens en Namibie sont dispersés, ainsi que ses chevaux, comme je l’ai dit plus haut.

Ensuite, la route devient n’importe quoi, parce qu’il a plu les jours précédents, et après des kms de boue, on atteint Maltahöhe. C’est le premier village d’importance depuis Aus, 500 bornes plus au sud. Et il fait nuit.

Maltahöhe


A Maltahöhe, il y a une sorte de lodge tenu par une française, mais elle n’est pas là. Il y a aussi un hôtel, dans un vieux bâtiment colonial, tenu par Jürgen, un gros afrikaner d’origine allemande, qui t’écrase bien la main pour te montrer qu’à la campagne, on fait pas la fiotte. A part loger d’éventuels touristes égarés, Jürgen fait surtout bottlestore et bar pour les fermiers afrikaners du coin (j’y ai bien vu un noir au comptoir, mais ça n’avait pas l’air de faire très plaisir aux ploucs du coin). J’ai l’air de dire du mal de Jürgen, ce qui est un peu dégueulasse, vu qu’il a été sympa et que son hôtel était tout à fait correct et peu onéreux, mais c’est comme ça, quand j’entends parler allemand en Afrique, j’ai envie de génocider les Héréros.

La ville (enfin, le bourg) de Maltahöhe semble complétement perdu, à la lisière du grand vide, déclassé, isolé, une sorte de trou du cul de la Namibie, si cette dernière en possédait plusieurs.
Ensuite, on ne fait plus les malins, on rejoint la B1 qui file goudronnée jusqu’à Windhoek. C’est à peine si on s’arrête voir les pélicans du barrage de Hardap, et si on fait de l’essence à Rehoboth, la ville des Basters (les « bâtards » hollando-hottentots).

Et à Windhoek, on va quand même voir les lions dans les montagnes.

L’avion de la TAAG nous ramène à Luanda, non sans avoir de nouveau fait une escale à Lubango – dont je peux dire, sans forfanterie particulière, que je connais très bien l’aéroport « internacional ».